La question de la protection du chevalier cuivré a refait surface une fois de plus à Ottawa ces deniers jours. Alors que les citoyens soucieux de l’environnement se réjouissent de la signature d’un arrêté ministériel sur la protection de l’habitat essentiel de cette espèce qu’on ne retrouve nulle part ailleurs sur la planète, au bureau de la CAQ, la réaction est toute autre.
Il aura fallu attendre huit ans, mais le gouvernement fédéral a finalement officialisé son engagement envers la protection de l’habitat essentiel du chevalier cuivré. Le tout, en accord avec les exigences prévues par la Loi sur les espèces en péril (LEP) adoptée en 2002.
Le ministre de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, et la ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, Bernadette Jordan, ont en effet signé un arrêté ministériel qui active cette mesure, officialisé par la publication dans la Gazette du Canada mercredi dernier.
Selon les exigences de la LEP, l’arrêté ministériel aurait en effet dû être adopté dans les 180 jours qui suivent l’adoption d’un plan de rétablissement d’une espèce en péril. Dans le cas du chevalier cuivré, l’arrêté ministériel aurait donc dû être adopté avant le 17 décembre 2012.
Mais ce n’est qu’en janvier dernier qu’Ottawa s’est engagé à protéger légalement l’habitat essentiel du chevalier cuivré. La nouvelle est arrivée après que la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP) et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) eurent déposé une action judiciaire en début d’année afin de forcer le gouvernement libéral à respecter les exigences de la LEP.
Question de leadership
Comme toutes les annonces officielles qui concernent cet épineux dossier, celle-ci a de nouveau provoqué une levée de boucliers. Cette fois, c’est l’administration caquiste qui, à Québec, s’est opposée à cette mesure qui aurait pourtant dû, légalement, être adoptée dès 2012.
Selon Québec, cette décision du gouvernement fédéral risque de causer un préjudice important au développement du projet d’agrandissement du terminal à conteneurs de l’Administration portuaire de Montréal (APM) à Contrecœur.
L’administration Legault s’est d’ailleurs opposée à cette décision fédérale et prétend qu’elle assure « en priorité le leadership des activités liées à la protection et au rétablissement des espèces en péril sur son territoire ».
Selon les représentants de la CAQ, « la décision de protéger l’habitat essentiel du chevalier cuivré en vertu de la LEP pourrait générer des impacts socioéconomiques importants au Québec ».
L’opposition de Québec et l’affirmation selon laquelle le gouvernement provincial est en mesure de prendre en charge la protection et le rétablissement de l’espèce ont à leur tour fait réagir les intervenants du milieu environnementaliste.
« C’est ahurissant de prétendre que le Québec a en main des outils de protection efficaces pour ses espèces en péril, s’est exprimé à La Presse le biologiste Alain Branchaud, président de la SNAP. Le gouvernement fait même tout pour contourner l’application de ses propres lois, comme l’illustrent bien les dossiers de la rainette faux-grillon et du ginseng. Il n’a démontré aucune volonté d’améliorer sa propre loi. Confier entièrement la protection du chevalier cuivré au Québec dans l’état actuel du droit serait un désastre annoncé. »
Un habitat essentiel, fragile et inimitable?
Dans un rapport commandé par la SNAP, quatre biologistes ont conclu que les mesures de compensation prévues dans le plan de l’APM avaient des chances réduites de succès et que l’impact du projet du terminal de Contrecœur avait été largement sous-estimé.
Pour sa part, l’APM s’est contentée de réitérer sa volonté « de respecter l’ensemble de la réglementation applicable et de déployer les meilleures mesures de compensation pour gérer les impacts de façon responsable, des mesures qui ont été développées et continuent d’être améliorées en concertation avec les autorités et experts concernés ».
L’APM s’est engagé à transplanter 1,8 hectare d’herbiers pour compenser les pertes de 0,9 hectare occasionnées par la mise en chantier de son projet. Les experts ont cependant rappelé qu’il était impossible de recréer un tel habitat.
D’un coût estimé à 750 millions de dollars, le projet d’agrandissement de terminal à conteneurs de Contrecœur pourrait permettre de créer 5 000 emplois durant sa phase de construction et environ 1 000 emplois durant sa phase d’exploitation qui pourrait débuter en 2023.
En contrevenant à l’arrêté ministériel, l’APM s’expose à une amende d’au plus d’un million de dollars.