Il honore ses amis qui lui sauvent la vie

Ali Dostie
Il honore ses amis qui lui sauvent la vie
(Photo : Grecieuseté)

«Vous n’êtes pas passé à ça, mais bien à ça de mourir.» Il faut imaginer l’écart s’amincir entre les doigts du médecin qui a soigné Michel Lebel, à Cuba en 2019. Devenu inconscient en plein escapade de plongée en apnée à au moins 200 mètres de la plage, il a reçu des manœuvres de réanimation de ses trois amis, qui l’ont transporté tant bien que mal jusque sur la terre ferme, et lui ont sauvé la vie.
«J’ai voulu les honorer pour ce qu’ils avaient accompli. Aujourd’hui, quand j’y repense, je réalise : j’étais pu là, c’était fini», soulève-t-il, se laissant surprendre encore par l’émotion, quatre ans plus tard.
Une bouteille de vin ou un billet de hockey ne suffisait pas à ses yeux pour les remercier.
Après des mois de démarches auprès des bureaux de deux députés, les Longueuillois Diane Conte et Jean-Pierre Doray, ainsi que la Bouchervilloise Denise Fillion ont reçu le 31 octobre une épinglette de la Chancellerie des distinctions honorifiques, au Parlement à Ottawa.
Garder l’œil ouvert
Le Courrier du Sud a récolté le récit de ces longues minutes qui ont assombri le voyage de randonnée de vélo auquel les quatre adeptes de sport participaient, en avril 2019.
Un après-midi, les quatre amis se laissent séduire par l’idée de faire de la plongée en apnée.
Encadreuse pour Vélo Québec, Denise Fillion a toujours en tête la sécurité de tous. «Je leur ai dit : il va vraiment falloir se surveiller l’un l’autre. On était plusieurs, et c’était assez loin», relate-t-elle.
«Je suis un nageur correct, avance Michel Lebel. J’avais vu les vagues et le corail, je me suis dit que je devais faire attention.» Une bonne profondeur peut rapidement se réduire à quelques pieds quand les coraux sont plus imposants.
Après quelque temps dans l’eau, le groupe atteint les coraux à plus ou moins grande distance de chacun.
Michel Lebel se souvient que son tuba s’est défait et avoir voulu s’éloigner d’un corail particulièrement haut. «Ensuite, je ne me souviens de rien», tranche-t-il.
Denise raconte avoir aperçu Michel passer devant elle. «Je lui fais un pouce en l’air et je vois qu’il a beaucoup d’eau dans son masque. Il me répond aussi d’un signe de pouce. Je me suis dit qu’il allait vider son masque…»
Une petite vague l’a ensuite empêchée de garder ce contact visuel.
Penser au pire
Diane s’approche de Denise et demande où se trouve Michel. «Elle pointe dans une direction… et il n’est pas là. Mais j’ai vu sa casquette», relate Diane.
«J’ai nagé jusqu’à lui. Il était inerte, le visage dans l’eau, il n’avait plus son tuba. Dans ma tête, il s’était noyé, il était mort. J’ai pensé à une crise cardiaque. Tout ça se passe en une fraction de seconde. Je l’ai retourné, et j’ai crié son nom, sans arrêt!»
«J’ai entendu son cri de mort… MICHEL!, ajoute Denise. Je vais toujours me rappeler de ce cri.»
À l’arrivée de Denise, Michel a les yeux révulsés et il est blanc comme un drap.
«Dans ma tête, il est mort», dit-elle, reprenant les mots de Diane.
Connaissant les techniques de réanimation, son premier réflexe a été de lui faire le bouche-à-bouche. Au moment de tendre l’oreille, elle entend un faible râlement. «Est-ce un son de vivant ou de mort…» se demande-t-elle.
À leur côté, Jean-Pierre, pédiatre, tente la technique Heimlich. «J’ai dit : il respire, il faut l’amener sur le bord de l’eau!» raconte-t-il.
À bout de souffle
Même si elle est bonne nageuse, Diane craint qu’ils n’y parviennent pas. Elle prend la tête de Michel sur ses épaules. À l’autre bout, Denise le tient à bras-le-corps.
Les déplacements sont périlleux. «J’étais fatiguée, je m’accrochais sur les coraux, je calais», se souvient Diane.
Denise prend alors le relais pour supporter le plus gros du poids de leur ami. Diane se charge des jambes.
Pendant tout ce temps, Jean-Pierre crie «Au secours!» mais les gens sur le bord de la plage sont trop loin pour entendre.
Dans tous ses efforts, Diane crie aussi sans arrêt le nom de Michel. «Je lui ai dit : arrête de crier, tu te fatigues», dit Denise.
L’eau salée, qui fait flotter, leur donne un petit coup de pouce. «Si ça avait été en eau douce, on n’y serait pas arrivé, croit Denise. Ça nous a paru tellement long, on ne progressait pas vite!»
La conjointe de Michel, restée sur la plage, les aperçoit. Au départ, elle interprète les grands cris comme des rires. Mais elle constate vite qu’il n’en est rien.
Une fois sur la plage, Michel reprend conscience, demandant ce qu’il se passe.
Des hommes le mettent sur une chaise de plage et le transportent à la clinique de l’hôtel le plus près.
Après un séjour de deux jours à l’hôpital et plusieurs tests, Michel reçoit son diagnostic : il a probablement subi un choc vagal, puis a respiré de l’eau. Il s’en sort sans séquelle.
Ensemble
Après coup, il est difficile de déterminer quel geste ou quelle manœuvre a sauvé la vie de Michel Lebel.
«On ne peut dire qui l’a sauvé. On l’a fait ensemble. C’est ça qui est extraordinaire.»
-Diane Conte
Pour les trois sauveteurs, la reconnaissance officielle reçue au Parlement fait certainement un velours, mais ce n’est pas ce qui importe le plus.
«Ce qui est plus grand pour nous, c’est que l’on profite de sa présence», soutient Jean-Pierre Doray.
Mme Conte avoue se «sentir petite» face à cet honneur. «Tout le monde aurait fait pareil dans la même situation», estime-t-elle.
«On n’était pas dans les meilleures conditions. On était dans l’eau, on ne touchait pas le fond. On a fait du mieux qu’on a pu», constate Denise Fillion.
Comme guide de Vélo-Québec, il lui est déjà arrivé d’intervenir dans des événements tragiques. «Là, ça touchait un ami. C’est encore plus spécial qu’on puisse le sauver», commente-t-elle.
Depuis cette mésaventure, Michel Lebel est demeuré actif : vélo, baignade à la piscine municipale et même de la nage dans le cadre d’un triathlon. «Mais jamais plus, je ne ferai de plongée en apnée.»

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