Amiantose chez Kronos: À la recherche de dizaines de victimes potentielles

Steve Martin de l'Initiative de journalisme local
Amiantose chez Kronos: À la recherche de dizaines de victimes potentielles
Sylvie Provost devant l’entreprise à laquelle son père a consacré 42 années de sa vie. (Photo : Steve Martin)

On ne pourra jamais taxer Sylvie Provost de manquer de persévérance. Fille de Réjean Provost, décédé de l’amiantose après avoir été à l’emploi de l’entreprise Kronos durant 42 années, cette dernière a consacré trois années de sa vie à une quête de justice qui a enfin porté ses fruits plus tôt cette année.

En mars dernier, Sylvie Provost a appris qu’elle avait gagné la première manche de son combat. L’entreprise située à Varennes a alors été condamnée à payer une somme de 160 000 $ pour sa responsabilité dans la mort de son père, victime de l’amiantose.

Croyant que la nouvelle allait s’ébruiter, celle qui a joint l’équipe de l’Association des victimes de l’amiante du Québec espérait alors que ce jugement allait permettre à d’autres employés et retraités de Kronos de demander réparation pour des ennuis de santé liés à leur exposition à la fibre toxique. Malheureusement, l’arrivée de la COVID-19 dans nos vies a relégué la nouvelle au second plan de l’actualité.

Il aura donc fallu attendre le mois d’août et les recommandations du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur la limite d’exposition des travailleurs à l’amiante pour que la question ne refasse surface dans la Gazette officielle.

Dans l’édition du 26 août, nous apprenions en effet que le gouvernement provincial souhaite aujourd’hui modifier la norme d’exposition à l’amiante qui est dix fois plus permissive qu’ailleurs au pays. Un projet de loi sur la question a d’ailleurs été esquissé à Québec afin d’officialiser la démarche.

Plaques pleurales

Pour Sylvie Provost, qui a témoigné lors des audiences du BAPE, il s’agit d’une excellente nouvelle. De telles dispositions permettraient de mieux protéger les travailleurs contre l’amiantose et d’éviter que d’autres subissent le triste sort de son père.

« Mon père était journalier, explique Mme Provost. Il faisait un peu de tout. Il était en contact avec l’amiante lorsque les plombiers-tuyauteurs montaient au plafond pour réparer des tuyaux qui étaient isolés à l’amiante. Eux, ils démantelaient et mon père était en dessous. Il attendait les débris, il balayait et il jetait ça aux vidanges. Ça lui tombait carrément sur la tête. »

Le plus difficile à justifier pour l’employeur demeure le fait que plusieurs radiographies prises dès 1989 à la demande de la direction de Kronos auraient pu permettre à M. Provost d’obtenir des soins beaucoup plus tôt et sans doute de prolonger sa vie. Les résultats de ces examens ne lui sont jamais parvenus.

« L’employeur savait depuis 1989 que mon père avait des plaques pleurales, ajoute Sylvie Provost. Dans le jugement, tout ça, c’est noté. Et il y a eu d’autres radiographies qui ont été prises des travailleurs en 1994, 1995… Mon père était malade depuis des années et ils ne l’ont jamais avisé. C’est horrible mourir de l’amiantose. »

Recours collectif

Sylvie Provost admet que la somme de 160 000 $ récoltés pour son père est plutôt symbolique. Le précédent créé par le jugement vient cependant ouvrir la porte à d’autres employés et retraités de Kronos qui ont pu subir des ennuis de santé similaires allant de problèmes cardiaques et pulmonaires à l’amiantose.

« Il y a onze cas de travailleurs qui sont malades, précise celle qui a délaissé son travail en massothérapie pour reprendre ses études universitaires en santé et sécurité au travail. Onze cas connus. Je suis convaincue qu’il y en a d’autres. Il y en a peut-être aussi qui sont morts de cancers du poumon ou d’autres causes connexes. Je pense qu’il y a des familles qui devraient investiguer. »

Par ailleurs, celle qui envisage un recours collectif en compagnie d’autres victimes de l’amiante se montre fort critique envers l’employeur de Varennes qui a mis la clé à la porte de l’entreprise en 2013.

« Après le lock-out, l’employeur avait décidé d’abandonner son programme d’identification des tuyaux d’amiante, rappelle Sylvie Provost. Et son plan de désamiantage également pendant deux ans. Des travailleurs ont dû travailler sans protection sans savoir que c’était dangereux. C’est pourquoi je dis qu’il y a des gens qui sont potentiellement malades aujourd’hui et qui ne sont pas au courant de toute l’histoire. Ils doivent nous contacter à l’Association des victimes de l’amiante du Québec. Il faut qu’on les mette au courant. »

La CSN se rallie

Pour sa part, le syndicat qui représente les employés de l’entreprise et qui avait préféré demeurer en retrait lors des démarches initiales de Mme Provost a choisi de se rallier à la cause à la suite des derniers dénouements.

« C’est certain que ça sème une énorme inquiétude auprès des retraités d’apprendre qu’un confrère a eu cette terrible maladie, admet Louis Bégin, président de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM-CSN). Je vous dirais que c’est une réalité que nous allons vivre de plus en plus. Surtout dans une région aussi industrielle le long du Saint-Laurent avec Varennes, Contrecœur et Sorel… Au niveau local, ça fait plusieurs années déjà qu’il y a des pressions pour identifier les endroits où il y a de l’amiante. Il y a des gens qui travaillent là-dessus, mais avec le cas qui vient d’être reconnu, on veut plus. La plus grosse difficulté, c’était de faire de reconnaitre le lien entre le travail et la maladie. Là, ç’a été fait. Pour nous, c’est une jurisprudence qui va s’appliquer à d’autres qui ont reçu le même diagnostic. Ça, c’est clair. »

Invités à commenter, les représentants de Kronos n’ont pas donné suite à la demande de La Relève.

Pour plus d’information sur l’Association des victimes d’amiante du Québec, visitez le site: www.victimes-amiante.org

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