Après 35 ans d’enseignement : dire adieu à une vocation

Par Ali Dostie
Après 35 ans d’enseignement : dire adieu à une vocation
Caroline Boutin (Photo : (Photo : La Relève - Ali Dostie))


Caroline Boutin ne s’ennuiera nullement du réveil à 4h et du trajet Blainville – Boucherville qu’elle parcourt chaque matin depuis plus de 20 ans pour se rendre au boulot, dans sa classe de maternelle de l’école Paul-VI. Malgré tout, l’arrivée imminente de la retraite se vit dans un grand mélange d’émotions, qui témoigne de son affection pour ses cocos.

Au fil de l’année, tout revêtait un caractère un peu spécial : dernière photo scolaire, dernière fois à aborder telle thématique, dont le matériel est relégué à des collègues… Un processus qui aide à faire le deuil.

«Malgré tout, je ne peux pas dire que je suis en paix. C’est bien émotif tout ça. Je me dis : qu’est-ce que je fais là? Pourquoi je ne continue pas? C’est tout le social que j’aime. Travailler avec mes collègues, les enfants…, témoigne-t-elle, rencontrée dans son local quelques minutes à la fin d’une journée de classe. En septembre, ce sera sûrement difficile, car je serai coupée de ça.»

«Les parents s’attendent à ce que j’aie leur deuxième, troisième enfant, ajoute-t-elle. Des familles reviennent quand les quatre ont fini la 6e année : ils me disent merci. Cette valorisation, je vais la trouver ailleurs.»

Elle anticipe quelque peu la toute dernière journée d’école, mais souhaite un party pour souligner cette étape en grand.

«Je ne sais pas comment je serai. Une année ordinaire, je braille; là, ce sera sans doute accentué!» –Caroline Boutin

Rassurer

Lorsqu’on lui demande de se décrire comme enseignante, Caroline Boutin se voit comme une personne rassurante… avec tous.

«J’ai compris ça rapidement : tu rassures les parents, et les enfants, et plus vite on peut commencer à enseigner. Et j’essaie d’être en collaboration avec les parents. Plus tu les prends à la même hauteur, plus ça se passe bien. La communication est vraiment importante.»

Elle nomme aussi son approche très humaine et sa «patience d’ange».

Un court passage du Journal en classe avec ses quelque 16 élèves et leur énergie à revendre en a offert une belle démonstration, alors que chacune de ses consignes et interventions est dite d’une voix douce et calme.

En classe, à quelques jours de la dernière journée d’école.

Anxiété, consignes… et écrans

L’intégration des classes d’adaptation dans les classes a été l’un des plus grands changements observés pendant les quelque 35 ans de carrière de Mme Boutin, qui détient des baccalauréats en enseignement préscolaire-primaire, puis en adaptation scolaire.

«Ils sont arrivés dans nos classes, mais je remarque qu’il n’y a pas nécessairement les services qui vont avec. On a fait des pas, mais il y a encore des besoins.» Elle cible aussi des besoins en matière de prévention, dont le travail notamment d’ergothérapeutes.

L’anxiété chez les enfants et les parents est aussi plus marquée qu’à ses débuts. «On a des parents anxieux et ça apporte plein de difficulté aux enfants : une rigidité, des crises. Tu dois les rassurer, et ça aide les enfants par la bande…» relate-t-elle.

Au fil des ans se sont également ajoutées des consignes, plus de consignes : ne pas courir dans les modules, un casque pour jouer dehors, etc. «Il n’y a plus de spontanéité. On est peut-être un peu sur les nerfs tout le monde. Ça fait que les enfants osent moins, bougent moins. Un enfant, il faut que ça tombe, que ça se fasse mal!»

Caroline Boutin

Parmi les avancées, elle note en contrepartie les progrès dans la détection des divers troubles tels que TSA et TDAH. Avec cette réalité, et une définition encore plus précise des besoins de chacun, viennent toutefois des défis.

«Chaque enfant a son petit mode d’emploi, je trouve. Ça en fait beaucoup à gérer : toi tu as besoin ton coussin machin pour s’asseoir, toi de tes pictogrammes pour te parler, toi de ton échelle d’émotions… C’est quasiment la moitié de la classe.»

Autre changement majeur et incontournable : les écrans. Bien sûr, les élèves les adorent. Mme Boutin a recours aux tablettes uniquement lors d’activités particulières. Elles ont remplacé de vieux ordinateurs qui ont été sortis de la classe, car ils créaient des conflits.

«Je vois une incidence sur le langage : les parents parlent moins avec leurs enfants. J’ai le goût de me fâcher chaque fois que je vois un enfant dans un panier d’épicerie qui regarde un cellulaire, alors que tu devrais parler, nommer les choses autour de toi, estime-t-elle. Des parents viennent chercher leur enfant, l’enfant tient son parent par la main, mais ils sont «pas là». Tu dois lui demander comment s’est passée sa journée… qu’il y ait une conversation.»

Toucher à tout et «coacher»

Caroline Boutin n’a pas établi un plan clairement défini de ce qui l’attend pour la retraite. Mais sa liste de projets ou d’activités dont elle entend profiter est longue : visiter les vergers dans sa région, lire, pratiquer des sports, voyager… et dormir!

Même si elle admet que ses «presque 35 ans» d’enseignement lui donnent aujourd’hui le goût d’entreprendre autre chose, elle ne tourne pas entièrement le dos au milieu.

«J’aimerais coacher de nouvelles enseignantes, ou des personnes non qualifiées – voilà d’ailleurs une autre réalité qui a changé! On a un programme pour ça au Centre de services scolaire des Patriotes : j’ai donné mon nom.»

En plus de visiter sa famille, Mme Boutin aura une autre raison de revenir sur la Rive-Sud, mais sans se lever aux petites heures cette fois.

 

Paroles d’enfants

Échantillon de ces «perles» sorties tout droit de la bouche d’élèves de Caroline Boutin.

– Quelle est cette forme? «Un obèse!»
– «Ton ordinateur est congelé!»
– «La maison s’est effondue!»
– Une maman ça sert à…? «Pondre des bébés.»
– «Hier, j’ai vu un raton laser!» (raton-laveur)
– «Mon fruit préféré, c’est le fruit de la patience!» (fruit de la passion)

 

 

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