Dès que Kozak s’arrête devant elle dans la salle d’attente, la patiente qui y était pour un traitement de radiothérapie tend le bras pour flatter le poil long et blanc du chien de race Samoyède. Le visage triste et angoissé, elle ferme les yeux, le menton appuyé sur le toutou Stitch posé sur ses genoux, la main toujours en contact avec Kozak. Elle essuie une larme. «Ça calme», chuchote-t-elle, après un moment, à la personne qui l’accompagnait.
«Il y a des choses assez magiques qui se passent», admet d’emblée Isabelle Turcotte, intervenante psychosociale de la Fondation Leski.
Tous les mardis avant-midi, elle visite les patients de l’Institut de cancérologie de la Montérégie à l’Hôpital Charles-Le Moyne, en compagnie de Kozak, un chien d’assistance. Le jeudi, c’est au tour de Simba, un labrador blond, d’être «son collègue» pour ces patients.
Il ne faut que quelques secondes pour constater que Kozak est une véritable vedette. En voyant le chien au pas de la porte, une patiente quittant l’Institut s’exclame: «Kozak! Je ne le reverrai plus, mes rendez-vous sont le lundi maintenant.»
À chacune de ses visites, Mme Turcotte suit la même routine. En entrant dans une salle d’attente, elle s’assure que tous sont à l’aise avec les chiens. Même si certains patients sont plus réservés, tous finiront par flatter le gros pitou, qui semble n’attendre que ça.
À son passage, on sent les sourires derrière les masques. «Un p’tit peu de bonheur en passant?» dit Mme Turcotte, en s’approchant de deux patients à l’écart.
Elle permet même à un usager de le nourrir. Ce dernier lui donne quelques croquettes, une à la fois. Évidemment, Kozak est très intéressé.
«Il pense que je lui donne des gâteries, mais c’est sa nourriture», assure Mme Turcotte, à propos du chien de plus de 62 lb en pleine santé.
Pierre Laporte attend pour son avant-dernier traitement de radiothérapie pour un cancer de la prostate. Il connait bien Kozak. «Ce sont les réactions des autres qui me fascinent!, relate-t-il. Ma femme n’est pas très chien, et chaque fois, Mme Turcotte s’en rappelle, et ne va pas vers elle. On est ici pour combattre nos bibittes, mais c’est l’fun malgré tout.»
Lien de confiance
Isabelle Turcotte a établi un grand lien de confiance avec ses «collègues» canins. «S’il marche d’un sens, c’est parce qu’il y a une raison : il a senti quelque chose avant moi, alors je le suis», signifie-t-elle, se disant très à l’écoute de ce qui se déroule autour d’elle.
Julien Terrier, directeur adjoint du programme de cancérologie, rapporte quant à lui un moment où Simba s’était mis sur les pieds d’une patiente, qui se savait atteinte d’un cancer depuis à peine trois semaines.
Elle a pleuré, pour la première fois depuis l’annonce de son diagnostic. «Ça libère», résume M. Terrier.
Bénéfices collatéraux
L’idée de départ de ce projet de chiens d’assistance en cancérologie – une première au Québec – était d’apporter une autre forme de soins aux patients lors de l’annonce du diagnostic de cancer, un moment très stressant et anxiogène, de même que lors des premiers traitements, qui représentent de l’inconnu.
«Les patients demandaient s’il sera là la prochaine fois! Ça crée un point d’ancrage qui rassure.»
-Julien Terrier, directeur adjoint du programme de cancérologie
Il n’est pas rare que la visite du chien, aussi courte soit-elle, a pour effet d’ouvrir la discussion entre les patients en salle d’attente, qui témoigneront entre eux de ce qu’ils vivent.
Autre effet collatéral : les bénéfices auprès des employés et du personnel soignant, confrontés au quotidien à la maladie. Dans sa tournée, Isabelle Turcotte fait souvent un arrêt auprès de membres du personnel.
«On va tout le temps vite, on marche très vite. Kozak nous impose son rythme. Et il met un baume sur le cœur des soignants», se réjouit Julien Terrier.
En place depuis un an, le projet pourrait aussi se déployer dans une approche plus individualisée.
Durant ses visites, le chien d’assistance porte un foulard à l’effigie de la Fondation Leski. Il sait à ce moment qu’il peut aller voir n’importe qui. Lorsqu’il porte un harnais, il s’agit d’une intervention individuelle.
«Dans notre développement, on voudrait passer au mode harnais, relève-t-il. Par exemple, pour accompagner des personnes qui ont peur de piqûres, ou pour des personnes qui sont claustrophobes lorsqu’elles passent un IRM en radiothérapie.»
Don anonyme
Le projet a été rendu possible grâce à un don privé à la Fondation Hôpital Charles-Le Moyne.
Un couple, qui souhaite rester anonyme, a approché la Fondation avec le désir de contribuer à un projet qui pourrait inclure des animaux.
Celle-ci a joué le rôle d’entremetteur avec l’Hôpital, alors que l’Institut de cancérologie avait déjà évoqué l’idée de chiens d’assistance et de zoothérapie.
«C’est l’fun quand on arrive à trouver un programme qui fait vibrer le donateur. Tout le monde avait la volonté que ça fonctionne», se réjouit Nathalie Boudreau, présidente de la Fondation. Les premières démarches ont été entamées pendant la pandémie.
Souhaitant que le projet fasse ses preuves, le couple a offert la somme de 35 000$ par an, et ce, pour plusieurs années.
Le projet de chiens d’assistance pourrait bien faire des petits, non seulement au sein d’autres hôpitaux qui lorgnent l’initiative avec intérêt, mais aussi dans d’autres départements de l’Hôpital Charles-Le Moyne.
Ce n’est pas un manque de financement qui ralentit ces expansions, mais plutôt un manque de chiens à la Fondation Leski.
Simba, Kozak et la Fondation Leski
Les chiens d’assistance Leski interviennent notamment auprès des victimes d’actes criminels. Ils peuvent par exemple accompagner des enfants qui doivent témoigner devant les tribunaux. La fondation de Saint-Hyacinthe œuvre également auprès de personnes vivant avec un trouble de santé mentale.
Certains chiens sont aussi appelés à intervenir dans des classes d’écoles primaires et secondaires, auprès de certains élèves, avant des périodes stressantes comme des examens.
Après avoir réussi une série de tests d’évaluation, les chiens qui sont sélectionnés par la Fondation Leski suivent un premier entrainement général d’obéissance. On leur enseigne ensuite des comportements spécifiques, tel que le «TTouch».
«Ils détectent l’anxiété avant nous, à cause de la salive. Dans une salle d’attente, il va détecter qui est plus stressé. Plus il le fait, plus ça devient naturel pour le chien», explique la présidente de la Fondation, Marie-Hélène Paquin.
À l’Hôpital Charles-Le Moyne, le Service de prévention et de contrôle des infections du CISSS de la Montérégie-Centre s’est assuré que les visites étaient sans danger. C’est d’ailleurs pourquoi elles se limitent aux salles d’attente, et que les chiens n’entrent pas dans les salles de traitement.
Les chiens doivent suivre un certain carnet vaccinal, et ne peuvent manger de viande crue, pour éviter les risques de développement de parasites. Ils sont aussi éduqués en conséquence, par exemple, pour ne pas lécher les mains ou le visage des patients.
La plupart des chiens appartiennent à la Fondation et vivent en famille d’accueil. Il en coûte entre 45 000$ et 50 000$ pour entraîner un chien et couvrir l’ensemble des soins et de sa nourriture pour toute sa vie.