Contester le contrat « ignoble » de Churchill Falls, le combat solitaire d’un Québécois

Patrick Butler ICI Radio-Canada
Contester le contrat « ignoble » de Churchill Falls, le combat solitaire d’un Québécois
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Sur le bureau de Lucien Beauregard, 14 cartables remplis de sa recherche sur le contract de Churchill Falls, signé en 1969.

Lucien Beauregard l’admet. Dans son entourage, son quartier, même dans tout le Québec, il n’a pas beaucoup de partisans quand il s’agit de la lutte de sa vie : la contestation du contrat sur Churchill Falls.

À Terre-Neuve-et-Labrador, l’entente est perçue comme une injustice historique – un accord sur 65 ans permettant au Québec d’acheter à un prix dérisoire l’hydroélectricité de sa province voisine.

Mais à Sainte-Julie, en banlieue montréalaise, Lucien Beauregard reconnaît que l’accord ne soulève l’ire de presque personne. Après tout, le contrat est très favorable aux Québécois.

Je te le dis tout de suite, la majorité des gens [au Québec] disent la même chose que la Cour suprême a dite en 2018 : « C’est un contrat, ils l’ont signé, qu’ils vivent avec », affirme l’homme âgé de 73 ans.

« C’est une question d’équité. […] C’est un ostie de contrat qui n’a pas d’allure. »
— Lucien Beauregard

Une découverte malaisante

En 2000, l’ingénieur s’est retrouvé à Terre-Neuve pendant 10 mois. Lucien Beauregard raconte qu’un jour, au travail, un collègue lui a donné un coup de coude, lui disant : Les Québécois, on vous aime bien, mais il y a Churchill.

Moi, là, je n’avais aucune idée de ce que c’était, Churchill Falls, explique-t-il. Je connaissais le nom, je savais que c’était une centrale hydroélectrique, mais rien de plus.

Curieux, il a demandé à Hydro Terre-Neuve-et-Labrador une copie du contrat. Une enveloppe brune est arrivée quelques jours plus tard et il s’est mis à décortiquer le document.

Je suis devenu en colère, affirme celui qui garde maintenant dans son bureau 14 cartables avec toute sa recherche sur le contrat. Il dit avoir dénoncé le projet dans des lettres envoyées à tous les députés à Québec, à Ottawa et à Saint-Jean.

« Ça fait 20 ans que, tous les jours, je m’intéresse au dossier de Churchill Falls. »
— Lucien Beauregard

Des cartables sur un bureau.

Sur le bureau de Lucien Beauregard, 14 cartables remplis de sa recherche sur le contract de Churchill Falls, signé en 1969.

Une pilule difficile à avaler

En 1966, Hydro-Québec s’est engagée, dans une lettre d’entente, à acheter la grande majorité de l’électricité produite à Churchill Falls, ce qui a permis à Brinco, un consortium de firmes britanniques, d’emprunter les fonds nécessaires et d’entamer la construction du barrage.

Pourtant, le contrat définitif n’a été finalisé que trois ans plus tard, au moment où les travaux n’étaient toujours pas menés à terme. Brinco manquait de revenus. Hydro-Québec était en position de force et en a profité.

Le document qui a finalement été signé est très avantageux pour Hydro-Québec, qui ne paie à l’heure actuelle que 0,2 cent/kWh pour l’électricité de Churchill Falls. À titre de comparaison, au troisième trimestre de 2022, Hydro-Québec a reçu en moyenne 8,2 cents/kWh pour ses exportations en électricité, soit 41 fois plus d’argent.

Après les 40 premières années du contrat, il se renouvelle automatiquement pour un autre 25 ans, sans aucune possibilité de renégociation.

Il n’y a pas de clause d’indexation. En fait, le prix de l’électricité a diminué progressivement depuis 1969.

Au grand désarroi du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, il est impossible de faire rouvrir le contrat. Après de nombreuses tentatives, Terre-Neuve-et-Labrador a perdu une fois pour toutes en Cour suprême du Canada en 2018.

Une occasion d’enterrer la hache de guerre?

Le contrat sur Churchill Falls, une centrale de 5428 MW, vient à échéance en 2041. La planification stratégique des sociétés énergétiques comme Hydro-Québec et Hydro Terre-Neuve-et-Labrador se fait sur des décennies, alors il est maintenant le moment de négocier l’avenir du barrage – et du partenariat entre les deux provinces.

En ce moment, la centrale de Churchill Falls produit environ 15 % des besoins en électricité du Québec. Ce dernier, dont le surplus énergétique disparaîtra d’ici 2026, a besoin de nouvelles sources d’énergie.

Terre-Neuve-et-Labrador, qui pourrait aider le Québec en construisant de nouvelles centrales sur le fleuve Churchill, veut surtout obtenir un prix équitable pour l’électricité de Churchill Falls, après six décennies perdues.

Le premier ministre québécois, François Legault, promet dans un proche avenir des discussions avec son homologue de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey. M. Furey a reçu cette semaine un rapport confidentiel d’un comité d’experts proposant la démarche à suivre pour son gouvernement lors des négociations.

Selon Lucien Beauregard, les négociations sont une occasion en or d’enterrer la hache de guerre et de présenter des excuses aux Terre-Neuviens et aux Labradoriens pour un contrat qu’il qualifie d’ignoble.

C’est une occasion unique d’exiger que l’on déchire le contrat, aujourd’hui, et que vous [les Terre-Neuviens] obteniez le prix que vous devriez avoir, estime-t-il.

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