Voyage au pays du gaz de schiste: « Une industrie extrêmement agressive et agressante »

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Par Daniel Bastin
Voyage au pays du gaz de schiste: « Une industrie extrêmement agressive et agressante »

Un groupe de 55 personnes a effectué un voyage de trois jours en Pennsylvanie, aux États-Unis, afin de constater par eux-mêmes les conséquences que provoque l’exploitation des gaz de schiste sur l’environnement et la santé des gens demeurant aux alentours. Parmi eux, on comptait un citoyen de Verchères, Albert Geuzaine, et ce qu’ils ont constaté sur place leur confirme que l’industrie du gaz de schiste ne doit pas s’implanter au Québec dans les conditions actuelles.

Parmi les 55 personnes qui ont effectué le voyage les 14, 15 et 16 octobre dernier, on comptait des citoyens, des élus, des journalistes et des photographes. La grande majorité du groupe était composé de personnes opposées à l’exploitation du gaz de schiste, mais certaines, environ une dizaine, se disaient neutres ou même en faveur de cette industrie. Les participants devaient payer le coût du voyage planifié par l’organisateur, Pierre Bluteau.

Ce voyage devait notamment permettre de rencontrer des citoyens de cet état qui ont vécu avec des exploitations à proximité de leur demeures, ainsi que des spécialistes dans le domaine, dont des chercheurs de l’université Cornell, dans l’état de New York, qui leur ont fait part des récentes recherches scientifiques touchant cette industrie.

Le groupe a pu visiter trois comtés en Pennsylvanie, soit Bradford, Tioga et Susquchanna, où plus de 3 400 permis de forage ont été accordés dans ces régions depuis 2008 et plus de 400 nouveaux forages ont été réalisés en 2011 dans un seul comté.

À l’échelle des États-Unis, pas moins de 31 états se sont lancés dans l’exploitation des gaz de schiste en utilisant le procédé de fracturation de la roche souterraine pour libérer les gaz à l’aide d’eau et de sable injectés sous très haute pression. Il est à noter que des centaines d’additifs chimiques sont ajoutés à l’eau et ceux-ci comptent pour environ 0,5% des volumes injectés dans les puits pour exécuter la fracturation. Cette technique peut briser le roc jusqu’à 2 500 mètres de profondeur et les exploitants peuvent également réaliser des forages horizontaux de plus de quatre kilomètres de long actuellement.

« Gasland »

Le documentaire « Gasland », réalisé en 2010 par Josh Fox, a fait couler beaucoup d’encre et donné beaucoup de munitions aux opposants de cette industrie, notamment lorsqu’on voit quelqu’un approcher une flamme de son robinet qui coule et l’eau prend alors feu!

Les 55 participants ont pu rencontrer quelques-uns des citoyens interviewés dans le documentaire américains, dont l’ex-maire de la municipalité de Dish, au Texas, Calvin Tillman. Des forages ont été réalisés sur ses terres et ses enfants seraient depuis sujets aux saignements de nez sur une base presque quotidienne. Le cadet, asthmatique, a vu son problème s’aggraver au point où le médecin leur a conseillé de quitter la région.

Pour préserver la santé de leurs enfants, M. Tillman a vendu sa propriété au dixième de sa valeur avant l’exploitation. Après le déménagement, la santé des enfants est revenu à la normale et M. Tillman parcours depuis les comtés afin de donner des conférences sur les effets néfastes de l’exploitation du gaz de schiste.

De même, les Québécois ont rencontré Chrystal Stroud, 29 ans, qui buvait de l’eau du robinet alors que l’industrie s’est installée à 400 mètres de chez elle. Elle a par la suite commencé à perdre ses cheveux, eu des palpitations cardiaques, des crampes d’estomac, des tremblements et sa respiration devenait de plus en plus difficile. Son état est devenu critique et a nécessité une hospitalisation d’urgence.

Un diagnostic a révélé un empoisonnement de son système. Une analyse de l’eau du puits a permis de découvrir qu’elle contenait du barium, du strontium, du manganèse, du plomb, du méthane, des éléments radioactifs et du radon provenant du puits de forage à proximité.

Elle aussi donne des conférences sur le sujet mais elle déplore que ses appels ont été ignorés par le gouverneur de l’état…

Perturbation du système

« Le refus citoyen d’accorder le moindre accès à un seul pied carré de notre territoire est la stratégie d’attaque préventive à laquelle nous devons recourir sans délai » Albert Geuzaine, citoyen de Verchères

Les Québécois ont également rencontré Anthony Ingraffea, professeur et chercheur à l’université Cornell qui recommande aux municipalités québécoises de procéder sans délai à l’évaluation des eaux (cours d’eau, étendues, sources d’approvisionnement) sur leur territoire afin d’en établir les caractéristiques avant que ne survienne une éventuelle exploitation.

Les 55 citoyens ont également appris que la Ville de Trois-Rivières aurait procédé à des traitements de eaux d’extraction à la demande d’une compagnie gazière et que des poissons auraient survécus après avoir été plongés dans l’eau traitée. Le chercheur soutient pour sa part que les usines de traitement des eaux ne sont pas calibrées pour traiter les eaux de fracturation.

Il rappelle que de nombreux produits toxiques utilisés lors des forages et durant les procédés de fissuration sont de nature cancérigène. 40% de ces produits causeraient des perturbations du système endocrinien (ensemble des organes permettant la sécrétion d’hormones) et les effets de ces produits peuvent apparaître plusieurs années après exposition, soit en buvant de l’eau polluée ou en respirant les émanations qui surviennent dans le cadre de l’exploitation.

Pour sa part, M. Geuzaine s’inquiète du fait que les opérations de forage et de fracturations effectuées pour un seul puits peuvent exiger jusqu’à 20 millions de litres d’eau, un chiffre qui laisse songeur quand il ajoute que l’industrie laisse entendre que près de 20 000 puits pourraient être forés d’ici 2020 sur les Terres Basses du Saint-Laurent.

Le résident de Verchères précise qu’il ne faut pas oublier qu’à défaut de pipeline pour amener les millions de litres d’eau sur le site de forage, il est nécessaire d’acheminer le liquide par camions citerne de grande capacité. Plus de 1 200 voyages seraient ainsi nécessaires, de la source d’eau au puits à fracturer, amenant son lot de nuisances.

« J’ai pu constater par moi-même que l’industrie gazière est extrêmement agressive et agressante. C’est une industrie à mon sens qui est non respectueuse à l’égard de l’environnement et des gens. J’ai pu le voir, le sentir, le vivre et écouter des témoignages de gens qui ont vécu cette situation, dont des gens d’une très grande crédibilité, comme à l’université de Cornell. »

50 % de risques de fuite…

Il rappelle également que le chercheur Anthony Ingraffea anticipe que près de 50 % des puits de forage fuiront, à un moment ou à un autre, en se basant sur les statistiques recueillies dans les états producteurs de gaz. Une telle estimation ne peut être contredite au Québec alors que, sur les 31 puits forés dans la province, 19 ont eu à subir une fuite, dont celui à La Présentation, à quelques kilomètres de Verchères…

Au terme de ce voyage de trois jours en Pennsylvanie, Albert Geuzaine se soucie encore plus qu’une compagnie gazière étende son exploitation près de Verchères ou dans la MRC de Marguerite-D’Youville, puisque la compagnie australienne Moloco a acheté « pour des peccadilles » des concessions dans la région. « Le refus citoyen d’accorder le moindre accès à un seul pied carré de notre territoire est la stratégie d’attaque préventive à laquelle nous devons recourir sans délai », conclut-il.

 

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